L'interview | Hiba Qasas

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Comment présenteriez-vous votre organisation en quelques mots ? En quoi consiste votre fonction? Quel est votre objectif?

La Fondation Principles for Peace (P4P) est une organisation indépendante et pionnière dans son domaine. Active au niveau mondial, la fondation joue un rôle de catalyseur de changement dans le monde complexe et non linéaire de la consolidation de la paix. Nous voulons servir de pont reliant la rive policée de la diplomatie à celle plus accidentée de la réalité du terrain et les données empiriques aux décisions qui ont un impact direct sur les populations affectées. Indépendants, mais profondément interconnectés, nous coalisons l'expertise de plus de 120 organisations, du terrain aux plus hautes sphères de la diplomatie, afin d’en faire une puissante force pour le bien. Les Principes pour la paix sont notre boussole. Ils offrent non seulement un lexique commun, mais aussi des outils de diagnostic et de critères de responsabilité.

Je suis directrice exécutive de Principles for Peace, mais ce titre ne résume pas ma fonction. Je suis entièrement au service de notre mission, de nos valeurs et de notre « famille » dans le monde entier, en toute humilité. Notre plan stratégique me guide. C'est un rappel constant que ma fonction consiste non seulement à diriger mais aussi à écouter, faire preuve d'empathie et travailler de concert avec les membres de notre réseau.

Je viens d'un pays profondément marqué par la guerre. J'apprécie l'atmosphère tranquille de la Suisse, mais les échos de ma patrie sont toujours présents à mes oreilles. Ces voix, en particulier celles qui émanent de populations marginalisées et oubliées, sont au cœur de mon travail. Cela me rappelle quotidiennement que le chemin vers la paix est un effort pour ainsi dire choral, et que ces voix marginalisées doivent en faire partie. C'est mon devoir, ma vocation même, de m'assurer que notre stratégie donne la parole à tous, en particulier celles et ceux qui ont été mis à l'écart par le passé, et leur permette d'exprimer leurs rêves et leurs espoirs.

Notre objectif principal est de favoriser un environnement où l'engagement pour la paix se traduit par un changement positif durable et plus de sécurité et de légitimité, mesurés à l'aune du bien-être et de la prospérité des sociétés où nous intervenons. Nous ambitionnons de renforcer le domaine de la consolidation de la paix de façon générale en jetant des bases solides pour le développement de processus de paix résilients et durables. Pour nous, la paix est le résultat d'un effort collectif et non de l'action individuelle. C'est pourquoi notre approche est centrée sur la création de partenariats et la mobilisation d'une large coalition.

 

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Parmi la concentration d'acteurs à Genève (OI, ONG, missions permanentes, universités et secteur privé), avec qui travaillez-vous et comment?

La Fondation Principles for Peace défend une approche internationale et multipartite à tous les niveaux, de hautes instances de la diplomatie aux associations de terrain. Notre vision est fondée sur une approche écosystémique, selon laquelle les conflits ne sont pas des événements isolés, mais le résultat de l’interaction complexe entre divers facteurs socio-économiques, politiques et environnementaux, plutôt que comme des événements isolés.

Cette vision nous incite à cultiver de vrais partenariats. Nous ne travaillons pas seuls : nos efforts incarnent une volonté collective de renforcer l'engagement pour la paix dans le monde. Nous collaborons avec les membres de notre Stakeholder Platform, qui réunit 120 organisations ainsi qu’un comité de recherche. Cette collaboration est renforcée par nos liens étroits avec la Commission internationale pour une paix inclusive (ICIP).

Avec ténacité, au fil des ans, nous avons mis sur pied une coalition et des initiatives consultatives qui ont eu un impact conséquent. Du nord au sud et d'est en ouest, nos échanges intègrent une grande variété de perspectives émanant des États, d’organisations non gouvernementales, d’associations locales, d’organisations internationales, et de décideurs politiques. Nos partenariats, à Genève et au-delà, nous permettent de toucher un très large public.

En collaboration avec ces partenaires et avec la Commission internationale pour une paix inclusive, nous avons piloté des initiatives participatives ambitieuses dans le domaine de la paix. Nous avons coordonné plus de 150 consultations avec des parties prenantes de 61 pays et rassemblé plus de 700 rapports ainsi que les contributions de 100,000 personnes. Notre approche mêle habilement diplomatie, politique, sécurité et réalités de terrain.

La synergie avec la Maison de la Paix et ses membres, notamment Interpeace, le DCAF, le GCSP, le CCDP du Graduate Institute, ainsi que nos relations avec des organisations telles que le PNUD et les missions permanentes ont été particulièrement précieux. Notre réseau mondial nous a permis de réaliser des consultations essentielles et de créer des liens entre les différentes régions du monde, de l'Asie du Sud-Est à l'Amérique latine en passant par le Moyen-Orient et l'Afrique.

Nous sommes très reconnaissants envers l’Allemagne et le Danemark, ainsi que la Fondation Robert Bosch. Grâce à leur soutien financier et avec l'aide du Canton de Genève, nous avons pu intégrer la Maison de la Paix. Cet emplacement stratégique nous a permis d'élargir exponentiellement notre rayonnement et renforcer notre réseau.

 

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Quelles sont les forces et les faiblesses de Genève en ce qui concerne le développement de votre activité?

Genève est un centre unique au monde pour le dialogue et l'action internationale, en particulier dans les domaines de l'humanitaire, des droits de l'homme et de la consolidation de la paix. La ville a joué un rôle important dans l'évolution de notre Fondation. J'aimerais m'arrêter sur trois aspects que j'apprécie particulièrement :

  • La collaboration : Genève est un terreau fertile pour la collaboration et l'action commune, grâce à la présence de nombreuses organisations humanitaires, de défense des droits de l'homme et de consolidation de la paix. Cette confluence d'expertises et de parties prenantes importantes favorise une synergie que l’on serait bien incapable de recréer ailleurs.
  • Une tradition de la paix : nos initiatives ont gagné en légitimité du fait de la longue tradition de la Suisse en matière de conciliation et d'établissement de normes. La ville qui a vu naître les célèbres Conventions de Genève est encore aujourd’hui un bastion des principes humanitaires. Il est donc logique que nos Principes pour la paix y soient également nés. Ces valeurs de paix et d'engagement humanitaire ont contribué de manière importante à façonner la philosophie de notre fondation et contribué à son évolution.
  • La neutralité et l’engagement humanitaire de la Suisse : Genève nous offre une plateforme unique au monde du fait de sa neutralité. Nous avons pu collaborer et échanger avec des parties prenantes d'horizons très variés. Cette neutralité, combinée à la proximité géographique de Genève avec des régions en conflit et post-conflit, ainsi que la réputation de la Suisse en tant que médiateur, nous ont aidés à renforcer notre rayonnement international et notre efficacité.

Toutefois, comme tout grand centre international, Genève a également des désavantages. La ville a parfois un effet « caisse de résonance » : les différents points de vue ont tendance à converger et à se renforcer. Nous essayons constamment d’élargir nos horizons et d’être à l’écoute de perspectives et de réalités externes à cette enclave diplomatique.

Cela dit, notre présence à Genève a indéniablement contribué à asseoir notre mission sur des bases solides. Nous sommes très fiers d'avoir choisi Genève pour servir de berceau à notre initiative. Alors que nous essayons d'essaimer dans d'autres grands centres, notamment à New York, nous constatons l’effet d'entraînement généré par la vision développée à Genève. J’en veux pour preuve la reconnaissance des Principes pour la paix en tant que référentiel important pour la consolidation de la paix lors du récent Débat ouvert de haut niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies, en mai 2023. Cette reconnaissance souligne la force et le potentiel d'initiatives nées au sein de l'écosystème genevois.

 

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A quoi devrait ressembler la gouvernance mondiale dans 20 à 30 ans?

Dans les 20 à 30 prochaines années, la gouvernance mondiale devra s’adapter intelligemment à un monde de plus en plus complexe en matière de consolidation de paix et de la sécurité. Nous assistons à la montée de politiques de plus en plus transactionnelles, en même temps que le déclin progressif du multilatéralisme et une certaine perte de crédibilité entre les divers acteurs. Il est évident que les outils actuels ne suffisent plus. La gouvernance mondiale doit radicalement changer de paradigme.

La future gouvernance mondiale devra mettre l'accent sur une éthique fondée sur le partenariat, dans un esprit d'humilité, de réciprocité et de valeurs partagées. Il est essentiel non seulement de protéger, mais aussi de dynamiser les institutions existantes. C’est d'autant plus urgent que la polarisation et les divisions politiques sont en pleine croissance, les risques climatiques augmentent rapidement, et le contexte international se complexifie. Les systèmes multilatéraux sont rudement mis à l'épreuve par des tensions géopolitiques croissantes. Il est urgent de développer de nouveaux mécanismes. Les stratégies existantes ont autrefois joué un rôle important, mais elles montrent leurs limites dans ce contexte en rapide évolution.

En conclusion, la gouvernance mondiale doit devenir le tremplin d’une véritable coopération multipartite en adoptant des politiques fondées sur l'inclusivité, l'adaptabilité et les données empiriques.

 

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Quelle question auriez-vous aimé que l'on vous pose? Et qu'est-ce qui vous empêche de dormir la nuit ?

Je suis de nature une bonne dormeuse, mais de graves inquiétudes viennent de temps en temps troubler mon sommeil. Le cynisme croissant autour de la question de la paix et le désespoir qui plane sur le dialogue international me préoccupent. Je suis également alarmée par le laisser-aller qui règne dans certains contextes ou groupes pour qui un engagement constant est essentiel. En revanche, ce qui me motive c'est la connexion que je ressens avec 1,7 milliard de personnes dans le monde en situation de conflit. Ayant moi-même connu la guerre, je comprends leurs aspirations, leurs peurs et leurs espoirs. Dans ma fonction actuelle, ma connaissance intime de leur réalité et mon désir profond de faire au moins une petite différence pour eux sont à la fois un avantage et fardeau. C’est ce sentiment de responsabilité qui me réveille parfois la nuit.


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