L'interview | Valéry Freland

Organization

Comment présenteriez-vous votre organisation en quelques mots ? En quoi consiste votre fonction? Quel est votre objectif?

ALIPH est une jeune organisation pleinement dédiée au soutien à des projets concrets et de terrain de protection du patrimoine dans les pays en guerre. Elle a été créée en 2017 à Genève à la suite de la destruction massive du patrimoine au Moyen Orient et au Sahel ; elle est l’expression de la mobilisation internationale face à cette barbarie. C’est une fondation privée de droit suisse d’une quinzaine de personnes, dont l’objectif est de protéger avant, pendant ou après un conflit le patrimoine dans sa diversité : les musées, bibliothèques et archives et leurs collections ; les sites et monuments ; le patrimoine immatériel. Elle contribue également à la lutte contre le trafic illicite de biens culturels.

En quatre ans, ALIPH a financé 160 projets dans une trentaine de pays, sans compter les 250 projets menés dans le cadre des plans d’action d’urgence mis en œuvre en 2020 pour aider les opérateurs de patrimoine de pays vulnérables à surmonter la crise de la Covid-19 ou pour stabiliser et réhabiliter le patrimoine de Beyrouth après les explosions dans le port, et en 2022 pour contribuer à la protection du patrimoine ukrainien. Au total, la fondation a d’ores et déjà engagé plus de 50 MUSD en faveur du patrimoine des pays en guerre.

Ce qui nous caractérise, c’est notre obsession de l’action concrète et des résultats tangibles. « Action, action, action », c’est notre devise. Elle reflète l’état d’esprit des Etats et des donateurs privés, de plus en plus nombreux, qui nous soutiennent.

J’ai pris la direction générale d’ALIPH en septembre 2018, après un poste aux Etats-Unis, et après avoir consacré une grande partie de ma carrière à la diplomatie culturelle. En arrivant, il a fallu tout mettre en place : et cela a été possible grâce à l’engagement sans faille de mes équipes et le soutien constant de la gouvernance d’ALIPH et de la Suisse ! Aujourd’hui, quatre ans après un lancement que nous pouvons, je crois, qualifier de réussi, mon objectif est de développer plus encore l’agilité d’ALIPH – amplement démontrée par notre action actuellement en Ukraine – et de renforcer notre capacité à intervenir là où nul ne le fait, en étant parfois nous-même opérateur.

 

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Parmi la concentration d'acteurs à Genève (OI, ONG, missions permanentes, universités et secteur privé), avec qui travaillez-vous et comment?

L’un de mes objectifs lorsque je suis arrivé à Genève, ça a été de pleinement intégrer la fondation, créée à l’initiative de la France et des Emirats arabes unis, dans son environnement genevois, notamment en développant des relations étroites avec les deux pôles internationaux de la ville : les institutions genevoises, sur la rive gauche du lac, et les Nations Unies Genève, sur la rive droite.

Au quotidien, nous travaillons avec plusieurs ONG basées en Suisse comme l’Aga Khan Trust for Culture (AKTC), acteur majeur et remarquable de la protection du patrimoine, qui réhabilite plusieurs sites en Afghanistan avec notre soutien, ou Fight for Humanity, jeune opérateur qui développe des actions de protection du patrimoine dans le nord-est de la Syrie. Mais naturellement, nous avons vocation à travailler avec tous les opérateurs genevois, institutions culturelles, universités ou ONG, en mesure de se déployer dans les zones en conflit ou post-conflit pour protéger un patrimoine en péril. Nous avons ainsi engagé un partenariat avec la Fondation suisse de déminage et sommes en discussion avec le Comité International de la Croix Rouge (CICR) pour établir des synergies entre nous. En outre, au printemps dernier, grâce à la mobilisation rapide et efficace de la ville de Genève et de ses musées, nous avons été en mesure d’envoyer 300 caisses de bois en Ukraine pour protéger des collections muséales.

Nous sommes par ailleurs en contact avec de potentiels donateurs suisses ou basés à Genève. Nous bénéficions d’ores et déjà du soutien de la Fondation Gandur pour l’art et ambitionnons de renforcer cet ancrage genevois. Je souhaite d’ailleurs que Genève et les Genevois s’approprient pleinement ALIPH, que notre action de solidarité soit pour eux une source de fierté, et c’est la raison pour laquelle nous affirmons régulièrement notre présence dans la ville à travers, par exemple, les drapeaux du pont du Mont-Blanc aux couleurs d’ALIPH, en décembre 2020, ou une exposition sur notre action, le long du lac, en septembre 2022 – exposition présentée également à Paris, Mexico, Riyadh, etc. A chaque fois, nous avons reçu le soutien de la ville de Genève, que je ne remercierai jamais assez.

 

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Quelles sont les forces et les faiblesses de Genève en ce qui concerne le développement de votre activité?

Honnêtement, je vois surtout des atouts !

D’abord, Genève et la Suisse ont une politique remarquable d’attractivité des organisations à vocation internationale : ALIPH a ainsi signé avec la Confédération helvétique un accord de siège qui nous permet de bénéficier des privilèges et immunités d’une organisation internationale, ce qui est pour nous un atout financier et diplomatique de premier plan. La Genève internationale est par ailleurs très active et très utile, ne serait-ce que par exemple pour trouver un logement !

Genève offre par ailleurs un cadre de vie qui attire de plus en plus de jeunes experts internationaux : c’est quand même formidable de respirer l’air du lac tous les matins, et de pouvoir arpenter les sentiers pédestres ou les pistes cyclables de la campagne genevoise le week-end !

Enfin, il y a ici à Genève une multitude d’acteurs qu’il faut repérer, rencontrer, et avec lesquels il y a peut-être des opportunités de partenariats. Naturellement, la période de pandémie qui a accompagné nos premières années n’a pas facilité ce travail : on essaie actuellement de rattraper le temps !

 

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A quoi devrait ressembler la gouvernance mondiale dans 20 à 30 ans?

Difficile de répondre à une telle question, lorsque l’on s’inquiète d’abord de savoir à quoi ressemblera sa propre organisation dans cinq ou dix ans !

Ce que je crois, c’est qu’il nous faut renforcer le multilatéralisme – ce qui est un défi aujourd’hui – en mettant toutefois l’accent sur l’action de terrain. Il faut avoir l’obsession du résultat. Une organisation comme ALIPH témoigne de ce nouveau type de multilatéralisme – incarné dès les années 2000 par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme – qui mobilise quelques bonnes volontés publiques et privées autour d’un objectif commun et circonscrit. Agilité, terrain, concret sont les maîtres-mots de notre action, et devront très certainement être l’un des horizons de la gouvernance mondiale dans 20 ou 30 ans, si on ne veut pas que les fractures entre nations et au sein d’un même pays s’approfondissent.

 

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Quelle question auriez-vous aimé que l'on vous pose?

Peut-être : êtes-vous heureux de faire ce que vous faîtes ?

Et naturellement ma réponse est oui, parce que l’on ne fait bien que ce que l’on aime. C’est difficile au quotidien d’être confronté à la souffrance de ceux qui subissent la guerre, la violence. De découvrir une ville en ruine, comme Mossoul, où je me suis rendu à quatre reprises, ou Beyrouth après l’explosion. Mais c’est une si grande satisfaction que de pouvoir, modestement, contribuer à apporter une lueur d’espoirs. Je pense par exemple au musée d’art Khanenko de Kiev dont le bâtiment a été en partie bombardé mais dont les collections, pour lesquelles nous avions financé cet été du matériel de protection, ont pu être sauvées. Je n’oublie pas non plus ces regards et ces paroles d’Afghans, de Libanais ou d’Irakiens, lorsqu’ils témoignent d’un patrimoine perdu ou, mieux encore, retrouvé. Derrière chaque patrimoine, il y a des femmes et des hommes, qui en vivent, et qui le font vivre. C’est pour eux que toute la famille ALIPH est mobilisée.


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